On passe notre vie à tomber : amoureux, malade, des nues… avant de tomber dans l’oubli. Chuter est un art.
Libre est la chute
Pour naitre, il faut une chute. Que deux personnes s’attirent (dans le meilleur des cas : tombent amoureuses) et que l’une d’elles tombe enceinte. Neuf mois plus tard, qu’on le veuille ou non, on débarque dans la grande foire existentielle. On peut alors s’extasier (ou se lamenter) : « C’est tombé sur moi d’être moi !». Puis, on s’élance, on tâtonne, on se rétame… sous les rires, les encouragements, ou bien l’indifférence. C’est l’expérience (on ne sait pas très bien ce que ça implique, mais on devine que c’est crucial). En vieillissant, on se met à perdre la mémoire, l’équilibre ; on a des trous, on se prend les pieds dans tout. On finit dans une tombe et on tombe dans l’oubli.
On passe donc notre vie à tomber : de haut, des nues, sous le charme, sur un os, malade, amoureux… La chute nous pend constamment au nez. C’est pour ça qu’il me semble important de se pencher dessus. Qu’elle soit physique ou psychologique, sociale ou spirituelle, anodine ou bouleversante, la chute me fascine. C’est la définition même de notre être. Simple effet de la loi de la gravité ? Ou mystérieuse inclinaison vers la décadence ?
Les hauteurs et les sommets nous font rêver, la déchéance nous fait faire des cauchemars… Pourtant, tomber est inévitable. En tant que fatalité, l’art de chuter devrait être enseigné. Apprendre à tomber, avec grâce, à amortir la chute, c’est s’assurer un meilleur maintien, un élan plus opportun. Oui, mais comment ?
Commencer par admettre notre extrême précarité, notre nature d’êtres « chutables », destinés à tomber. Nous sommes définis par cet implacable rapport au monde qu’est la loi de la gravité et… ce n’est pas si grave. En reconnaissant « je suis un être fragile et friable, engoncé dans un corps complexe, dont les subtilités m’échappent » nous pouvons justement nous affranchir quelque peu, sinon de la loi de la gravité, du moins de la fatalité qui nous fait régulièrement trébucher. Nous pouvons aussi porter sur notre être un regard curieux, émerveillé, qui nous pousse à vouloir le comprendre, à le déchiffrer et appréhender son fonctionnement et ses besoins. Avoir des bases en anatomie, comprendre les différents systèmes qui nous composent (nerveux, cardiaque, digestif, lymphatique, sanguin…). Cette humble demeure, temple provisoire qu’est notre corps, est constamment soumise à des menaces externes et internes. Il peut être blessé, malade, amputé… et finalement se dégrader jusqu’à la tombe. Admettre cette fragilité est essentiel pour prendre soin de lui avec sagesse et respect.
Pour nous libérer de cette tension – liée à la peur de l’incertitude et du néant – qui le crispe et le tient en permanence sur ses gardes, nous avons besoin de pratiques régulières qui nous ancrent dans le moment présent, comme l’exercice physique quotidien, la méditation et la contemplation, qui nous aident à calmer notre esprit agité, à observer nos pensées sans s’y attacher, et à cultiver la présence consciente. Pour ma part, je peux observer pendant des heures le soleil filtrer à travers les branches d’arbres (phénomène auquel les japonais ont attribué le mot « komorebi »), mais aussi le ciel et ses subtiles variations graphiques au fil des heures et des lumières.
On en entend beaucoup parler ces temps-ci, mais sans doute pas assez : la respiration consciente. C’est une clé essentielle pour libérer les tensions. La pratique de la cohérence cardiaque, par exemple, consiste à réguler notre respiration pour équilibrer notre système nerveux et réduire ce fléau qui nous colle à la peau, le stress. En prenant quelques instants chaque jour pour respirer consciemment, et profondément, en accordant une attention particulière à notre souffle, nous nous connectons à notre corps, à ce qu’il y a en lui de précieux, vital et mystérieux… et apaisons ainsi notre esprit.
Enfin, intégrer des rituels de bien-être dans notre quotidien est essentiel. Que ce soit une séance de yoga matinale, une promenade en pleine nature, un bain relaxant le soir, ou toute autre pratique qui nous procure du plaisir et de la détente, ces moments de connexion à nous-mêmes nous aident à relâcher les tensions et évacuer les angoisses.
Et puis il y a le geste créatif… À la fois trivial – aussi simple qu’un coup de crayon sur un bout de papier – que miraculeux. L’acte de créer, que ce soit à travers l’écriture, la peinture, la musique, la danse ou tout autre moyen d’expression artistique, nous permet d’explorer qui nous sommes, de quelles obsessions, pulsions, contradictions nous sommes faits. C’est un espace où nous pouvons donner libre cours à nos émotions, nos pensées et nos expériences. En nous plongeant dans cet univers fait d’images, de sensations, d’associations… nous touchons notre essence et transcendons les peurs et les incertitudes qui nous limitent.
L’écriture, en particulier, est un outil puissant pour explorer notre univers intime. Poser nos pensées sur le papier nous permet de prendre du recul, de donner forme à nos idées et à nos émotions. C’est une invitation à plonger dans les méandres de notre esprit et à découvrir des facettes insoupçonnées de nous-mêmes. Que ce soit sous la forme d’un journal intime, d’un récit fictif ou d’un poème, l’écriture nous offre une voie d’expression authentique et libératrice. Pour ma part, l’écriture m’a sauvée. J’étais en CP lorsque ma mère, qui aimait tant écrire, est morte. Et j’ai trouvé dans cet acte à la fois alambiqué (quand on y pense) et évident qu’est l’écriture, un refuge, une source de consolation et une porte vers de multiples univers.
Dans cet espace créatif, nous avons la possibilité d’explorer les profondeurs de notre être, nous trouvons des réponses à nos questions existentielles, envisageons de nouvelles perspectives et pouvons donner un sens à nos expériences. C’est une aventure qui nous permet de nous connaître et nous accepter davantage, de cultiver une relation plus aimante avec nous-mêmes. Et surtout, de nous métamorphoser, sans jugement ni contrainte.
En créant, nous nous offrons la chance de nous échapper de la pesanteur existentielle, de la menace de la chute. C’est l’espace de notre vérité profonde.
Alors osez être créatifs, osez explorer ce qui se trame en vous. Vous découvrirez un moyen puissant de vous libérer de votre vertige intérieur et d’embrasser votre nature « gravitable », tout en vous élevant vers de nouveaux horizons.
2 réponses
Merci Clarisse ! Tes mots tombent à pic 😊
Merci Valérie 🙂